En cas de doute sur une candidature, faut-il l’écarter ?

Le recrutement n’est pas une science exacte. Au bout du processus d’évaluation, si abouti soit-il, la décision d’embauche s’impose rarement comme une évidence. Parfois même, un doute persistant sur une candidature peut enrayer le processus et compromettre une décision d’embauche qui semblait acquise. D’ailleurs, n’entend-on pas souvent dire qu’en cas de doute sur un candidat, il vaut mieux s’abstenir ? C’est bien dommage, car à vouloir évacuer le risque, inhérent à tout recrutement, l’on risque aussi passer à côté d’un candidat formidable. Et bien que les conséquences d’une erreur de recrutement soient fâcheuses, les difficultés à trouver de bons candidats justifient d’aller au bout de toute démarche d’évaluation et de se confronter aux sources de son hésitation le cas échéant. Pour vous y aider, sachez d’abord qu’il existe plusieurs sortes de doutes dans l’évaluation de candidatures :

Il y a d’abord les doutes « objectifs », basés sur des éléments  concrets 

Il manque une compétence ou une connaissance essentielle dans le poste. C’est de loin l’objection la plus simple à traiter, car l’entreprise est justement le lieu où l’on se forme le plus toute sa vie professionnelle et où l’on apprend réellement son métier, quelle que soit sa formation initiale. Il est d’ailleurs de votre responsabilité d’employeur de prendre en charge le développement des compétences de vos salariés, pour les adapter à leur poste ou maintenir leur employabilité. Dès lors, pourquoi ne pas commencer dès l’embauche si cela peut résoudre une difficulté de recrutement ? Bien sûr, vous n’aurez jamais anticipé le temps nécessaire pour développer cette compétence car le besoin opérationnel sera toujours immédiat. Cependant, considérez le temps que vous mettriez à trouver la compétence déjà prête à l’emploi sur un marché des talents toujours plus tendu, si vous arrivez jamais à la trouver d’ailleurs… Mais surtout, dites-vous que personne ne formera mieux votre nouvelle recrue que votre propre équipe. Mieux encore, la perspective d’apprendre de nouvelles compétences dans un nouveau poste peut faire pencher la balance en votre faveur pour un candidat tiraillé entre plusieurs propositions. Et cet investissement que vous aurez consenti pour lui contribuera à l’attacher à votre entreprise.

Toutes les compétences recherchées sont là, mais le profil n’est pas du tout celui que vous aviez « imaginé ». Vous imaginiez un trentenaire, habitant à proximité, un homme comme tout le reste de l’équipe, ou tout autre construction mentale de votre candidat idéal, et c’est un tout autre profil qui émerge de votre processus de recrutement. Outre que ces éléments ne soient ni plus ni moins que des critères discriminatoires aux yeux de la Loi, il faut en revenir au principe de base de l’évaluation professionnelle : la compétence et rien d’autre. Le profil du précédent titulaire du poste ou celui de l’équipe induisent d’ailleurs souvent en erreur quand il s’agit de définir le profil cible. Vouloir « la même chose » n’est pas une manière de définir un besoin. Il faut faire l’effort de traduire ce besoin en compétences objectives, sans trop présumer du potentiel du marché, lequel ne fournit pas de clones à la demande. De plus, un profil « différent » ne pourra qu’enrichir l’entreprise, voire la rapprocher de son marché et de ses clients car les candidats reflètent aussi la société dans son ensemble.

Le profil est idéal, mais le salaire bien au-delà de la fourchette envisagée. Tout est question de proportion bien sûr, mais souvent, le problème n’est pas tant dans le niveau des prétentions salariales mêmes, lesquelles reflètent le marché, que dans le niveau de salaire actuel de vos équipes. Malheureusement, ce sont deux données irréconciliables : le marché donne un certain niveau de salaire pour une compétence, et vous ne pourrez pas l’acquérir à moindre frais sans sacrifier sur le niveau d’expérience ou le niveau de formation initiale par exemple. Pas plus que vous ne pourrez tout simplement réévaluer les niveaux de salaire dans votre structure. Il va donc bien falloir vous résoudre à remettre en question vos attentes sur ce poste, à moins que vous ne soyez prêt à adapter le poste lui-même. Un intitulé de poste différent qui indique une séniorité supérieure par exemple, ou même une responsabilité managériale ou des missions élargies, pourront à la fois justifier un positionnement salarial supérieur en interne, mais aussi motiver votre candidat à choisir votre offre. C’est au poste de s’adapter aux compétences disponibles et motivées que vous offre le marché, car le marché, lui, ne changera pas pour vous.

Il y a ensuite les doutes « subjectifs », basés sur un jugement personnel ou une impression 

La personnalité ne correspond pas à votre culture d’entreprise ou à votre mode de management. Dans ce cas, rien ne vaut la multiplicité des avis. Notre jugement est affecté de toutes sortes de biais, la plupart du temps inconscients, et croiser les opinions sur un candidat est la meilleure manière de rationnaliser votre jugement, ou de confirmer votre intuition le cas échéant. Rappelez-vous surtout que l’évaluation d’une personnalité est un métier en soi et qu’il ne faut pas hésiter à vous en remettre à votre Responsable RH quand vous en avez un, ou à un consultant externe. Avec ou sans l’aide d’un professionnel, n’oubliez cependant pas, au moment du choix, qu’une entreprise n’est pas qu’une chose, c’est un collectif humain, fragile par nature. Ce sont les salariés et leurs interactions qui en font ce qu’elle est et, dans le doute, l’équilibre d’une équipe ou la cohésion d’une culture d’entreprise doit toujours primer dans votre choix. Car les personnalités des uns et des autres ne changeront pas, et si le peu que vous arrivez à en percevoir durant l’entretien, où l’on cherche à se montrer sous son meilleur jour, vous laisse perplexe ou vous inquiète, rappelez-vous que cela ne risque pas de se bonifier avec le temps.

La présentation du candidat durant l’entretien ne vous a pas convaincu. C’est un cas très fréquent. Le profil convient au poste, mais soit que la motivation ne vous semble pas (assez) présente, ou que ayez perçu un décalage entre un discours et un parcours, et voilà une décision évidente qui bascule dans le doute. Là aussi, croiser les avis vous aidera, de même qu’une prise de références professionnelles (avec l’accord du candidat). Il est après tout assez naturel de ne pas fonder une décision aussi importante pour vous et pour votre candidat sur une simple « prestation » d’entretien. L’entretien en lui-même est un moment stressant, dans lequel tout le monde ne donnera pas la pleine mesure de ses possibilités. Le recruteur ou le manager pourront d’ailleurs avoir créée cette situation de sous performance en entretien par leur conduite des échanges. Certains managers, dont le recrutement n’est pas le métier, pourront se laisser aller à vouloir « cuisiner » le candidat sans penser une seconde à établir du lien ou à vendre leur poste, ce qui découragera naturellement le candidat à donner le meilleur de lui-même. L’inverse est tout aussi fréquent, et d’autres managers pourront occuper tout l’espace, parler sans discontinuer du poste, de l’entreprise et d’eux-mêmes avec tellement de conviction que le candidat ne parviendra pas à en place une durant tout l’entretien. Pas étonnant que le manager hésite après coup, n’ayant pas permis au candidat de lui donner des éléments de réflexion… En tout état de cause, quand le parcours d’un candidat, son bilan et ses compétences objectives ne cadrent pas avec votre jugement, c’est une fois encore à vous de vous remettre en question, car les faits, eux, ne changeront pas.

Le candidat en a convaincu certains, mais pas d’autres. Multiplier les entretiens permet de bien neutraliser les biais de jugement, mais cela peut aussi aboutir à des divergences dans l’appréciation d’une candidature. En général, cela traduit surtout des divergences dans les attentes des interlocuteurs de l’entreprise qui recrute. Si convaincant soit votre candidat, il ne risque pas de mettre d’accord des personnes qui ne recherchent pas du tout la même chose. C’est donc souvent le signe que la définition d’un poste ou d’un profil cible n’a pas été partagée par tous les évaluateurs du processus. Dans ce cas-là, il faut soit s’y replonger jusqu’à converger vers un profil cible, soit laisser au manager la responsabilité du choix. C’est son rôle après tout.

Il y a enfin des doutes qui n’en sont pas vraiment…

Un candidat a convaincu tous ses interlocuteurs et l’embauche est décidée, mais des prises de références professionnelles mitigées ou un test d’aptitude négatif vous laissent aux prises avec un dilemme de dernière minute : faut-il persister dans son choix ou tenir compte de ces alertes ? Il est toujours difficile de revenir sur un jugement et l’esprit humain tend naturellement à ignorer les signaux contradictoires, surtout quand ils nous forcent à lutter contre une dynamique confortable ou à reprendre notre effort. Mais des éléments concrets et incontestables de nature à invalider la candidature ne peuvent être ignorés et là encore, votre jugement, qu’il soit positif ou négatif, doit céder devant les faits. Ce n’est pas une décision facile, mais l’explication au candidat, du moins, en sera facilitée car elle s’appuiera sur des éléments rationnels.

Quel que soit le cas de figure, le doute est le signe que votre processus d’évaluation n’est pas parvenu à son terme ou que des biais de jugement interfèrent avec sa conclusion rationnelle. Bien sûr, la période d’essai prévue au contrat de travail pourrait vous rassurer et vous donner envie de prendre un risque calculé. Pourquoi pas, mais en attendant, vous aurez interrompu votre processus de recrutement et perdu un temps précieux. Et vous aurez peut-être aussi perturbé le fonctionnement d’une équipe ou d’un service. Sans compter que vous aurez fragilisé la position de votre candidat, lequel aurait peut-être réussi son intégration dans une autre entreprise. En tant que recruteur ou manager qui recrute, vous devez également garder à l’esprit l’importance des conséquences potentielles pour vos candidats « mal » choisis.

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