La révolution du télétravail n’a pas (encore) eu lieu

Le premier confinement avait constitué un véritable « stress test » pour le télétravail à grande échelle. Nous avions alors réalisé que la tertiarisation de l’économie et la digitalisation des emplois avaient déjà rendu compatible au télétravail une grande partie de nos métiers (62% de métiers éligibles, au moins partiellement, au télétravail – Boostrs, juin 2020). La productivité avait été maintenue, voire améliorée, malgré une mise en œuvre précipitée et les contraintes d’un confinement inédit. En quelques mois, le télétravail était devenu une modalité de travail pleinement productive pour l’entreprise et non plus simplement une concession à un meilleur équilibre de vie pour les salariés. Quelques entreprises, et de tous profils, avaient même rapidement engagé une généralisation du télétravail pour les emplois compatibles. Pour les autres, à tout le moins, une augmentation du nombre de jours de télétravail hebdomadaire semblait se dessiner à court terme, le temps de formaliser les accords d’entreprises et de réorganiser les espaces de travail. Car bien sûr, une présence partielle dans les bureaux se traduirait nécessairement par des regroupements d’effectifs ou un passage en flex-office, source non négligeable d’économie pour l’entreprise.

Pourtant, quelques mois après la fin du confinement, le télétravail reculait significativement en France. Un sondage révélait que les 27% de salariés en télétravail durant le confinement n’étaient plus que 15% trois mois plus tard (sondage Yougov pour la société Cardiosens, Août 2020). Fin septembre, le Ministère du Travail indiquait même qu’il était retombé à 10% en France, proche de la situation avant le Covid. La révolution du télétravail que tout le monde avait annoncé n’avait finalement pas eu lieu.

Le télétravail en question

Si les salariés sont globalement convaincus par le télétravail, pour les entreprises, c’est plus compliqué. Pour la plupart fragilisées par une crise économique majeure, elles ont trop à faire aujourd’hui pour remonter la pente et leur priorité n’est pas à la réorganisation du travail. Elles semblent également réticentes à bouleverser leurs habitudes de fonctionnement ou à tout le moins hésitantes devant les ajustements à consentir pour les mettre en œuvre. Toutes ne sont pas également compatibles avec le télétravail, qui créerait des modes de fonctionnement différents selon les activités, les métiers, voire les types de postes. Elles peuvent aussi craindre les conséquences sur leur culture d’entreprise, le management et le développement de leur capital humain et leurs capacités à maintenir leur innovation.

Plus préoccupant encore pour l’avenir du télétravail, les effets physiques et psychologique de la crise du Covid sur les salariés. Baisse de motivation, absence d’interactions sociales, perte des repères professionnels, dépressions même, les études s’enchaînent, toutes plus préoccupantes les unes que les autres. Bien sûr c’est le confinement lui-même et l’angoisse de la pandémie qui sont à l’origine de ces troubles, mais beaucoup sont directement liés au travail à distance et à l’effacement de nos repères professionnels.

Les négociations pour aboutir à un accord national interprofessionnel (ANI) sur le télétravail ont d’ailleurs manifesté une ligne de fracture presque idéologique entre les salariés et les entreprises, opposant des syndicats impatients de traduire en droits l’accès au télétravail malgré le contexte de crise économique majeure, à un patronat crispé sur l’ANI de 2005, comme si rien ne s’était passé depuis. Les débats, qui se sont poursuivis sur plusieurs semaines dans une tension extrême, ont finalement abouti à un accord peu contraignant pour les entreprises, laissant la porte entrouverte à un retour en arrière sitôt la crise dernière nous.

Le monde d’après

Pour beaucoup de salariés cependant, il semble inconcevable de revenir au point de départ, comme si la viabilité d’une autre manière de concevoir le travail, plus conforme aux aspirations du temps, n’avait pas été spectaculairement démontrée. Un sondage Malakoff Médéric indique que 89% des salariés ayant expérimenté le télétravail veulent le poursuivre, au moins en partie. Et c’est d’ailleurs une des surprises de cette expérience à grande échelle : les collaborateurs eux-mêmes ne veulent pas d’un télétravail à 100%, qui les priverait du lien social et des commodités des espaces de travail. Ils semblent plutôt converger vers une formule hybride, entre deux et trois jours de télétravail par semaine, pour les emplois compatibles, bien sûr. Une chose est certaine : les salariés qui ont démontré qu’ils pouvaient s’acquitter de tout ou partie de leurs tâches à distance risquent de mal vivre leur retour au bureau si leur employeur refuse de pérenniser le télétravail, ne serait-ce que partiellement. Au moment de la reprise économique, la motivation des collaborateurs pourrait bien faire défaut, comme leur fidélité lorsque les recrutements reprendront leur rythme d’avant crise. N’oublions pas qu’au début de l’année 2020, nous restions sur deux années d’embellie du marché du travail en France, avec plus de 500 000 emplois créés entre 2017 et 2019, et des tensions exacerbées sur les emplois qualifiés et cadres. Pour les entreprises les plus volontaristes sur le sujet, qui sauront exploiter l’argument du télétravail (et de la flexibilité au travail au sens large) dans leur discours de marque employeur, il y aura de précieux points à gagner dans la guerre des talents.

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