La visio bouscule le recrutement

Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais il s’est produit une petite révolution dans le monde du recrutement : les recruteurs ne font (quasiment) plus d’entretiens de recrutement en présentiel. Bien sûr, ils faisaient déjà beaucoup d’entretiens à distance, surtout pour épargner de longs déplacements à des candidats éloignés pour un premier entretien, puis lorsque que le confinement l’a imposé. Mais aujourd’hui, rencontrer les candidats en visio est la nouvelle normalité. Le passage au distanciel forcé durant la pandémie nous a permis de basculer dans ce nouvel usage, comme il a globalement changé notre manière de travailler et de communiquer. Concrètement, cela accélère le processus de recrutement et nous permet de considérer davantage de candidatures. Les candidats eux-mêmes s’en trouvent mieux ; ils ne veulent plus poser de demi-journées de congé ou de RTT pour aller rencontrer un recruteur en entretien de pré-sélection à l’issue incertaine. Ils peuvent aussi se positionner sur davantage d’opportunités professionnelles et les gérer plus simplement. Tout le monde y gagne. C’est pourquoi cette transformation spectaculaire de notre métier s’est imposée sans faire de bruit. Mais pas sans entraîner quelques ajustements dans le processus de recrutement dans son ensemble…  

Les recruteurs

Pour les recruteurs, cette évolution pose la question de l’impact du distanciel sur la qualité de leur évaluation et de leur rapport avec les candidats. Evaluer des compétences, sonder une motivation ou même vendre un poste est indéniablement plus difficile en visio qu’en face à face. En tout cas, ce simple échange ne suffira pas toujours à valider une candidature. Il faudra sans doute le compléter plus systématiquement avec des prises de de références téléphoniques ou des test de personnalité et d’aptitudes en ligne, par exemple. Ce qui d’ailleurs contribuera à objectiver et à sécuriser le jugement du recruteur. Mais le distanciel pourrait aussi affecter la qualité de la relation avec nos candidats. La digitalisation et l’automatisation toujours plus poussées des traitements ont déjà désindividualisé les interactions ces dernières années. La fin des entretiens en présentiel ne va pas arranger les choses… Et même si les échanges en direct avec les managers se conservent, et qu’il restera toujours possible de faire mieux connaissance avec nos candidats une fois embauchés, la dimension humaine de notre métier se perdra aussi en partie avec le distanciel. Déjà, nos rapports avec les candidats sont  devenus plus « transactionnels ». Ils s’apparentent aujourd’hui à une relation de type clients – fournisseurs dans laquelle les candidats, faut-il le préciser, sont les clients. Mais les recruteurs évoluent aussi et les nouvelles générations se distinguent aujourd’hui davantage par leur sensibilité à la communication, leur maîtrise des outils digitaux et leur aisance sur les réseaux sociaux, que par leur investissement dans la seule dimension relationnelle du métier. On est loin du profil de psychologue qui rassemble l’essentiel de son expertise dans l’évaluation en entretien d’embauche. Pour les nouveaux recruteurs finalement, peu importe le canal, du moment que la communication s’établit efficacement avec leurs candidats, et pas uniquement sur le temps de l’entretien.

Les candidats

Une chose est sûre, les candidats ne regretteront pas l’entretien d’embauche traditionnel. Ils l’appréhendaient comme un examen de passage, se posant mille questions sur ce qu’il fallait dire ou faire, et même comment s’habiller, dire bonjour ou se tenir sur sa chaise, comme si les recruteurs pointaient tous les détails de leur prestation sur une mystérieuse grille d’évaluation. Ce malentendu, hérité d’une autre époque et entretenu par la littérature abondante sur le sujet, avait la vie dure et ne nous rendait pas service. Mais dans un marché où les candidats imposent leurs usages, ce format d’entretien « source de stress » était condamné à disparaître. Aujourd’hui, c’est même sur les épaules du recruteur que pèse la pression de résultats. Il ne doit plus seulement évaluer ses candidats ; il doit leur donner envie de poursuivre le processus de recrutement. La vente du poste et de l’entreprise prend désormais autant de place que l’analyse et la sélection. De toutes façons, l’entretien téléphonique de préqualification, les outils d’évaluation en ligne et les prises de références permettent aujourd’hui de compléter l’évaluation en amont et en aval de la rencontre. L’entretien avec le recruteur est devenu un temps d’échange d’informations plus équilibré, et moins une évaluation « couperet ». Les candidats n’en abordent nos processus de recrutement que plus sereinement. Plus authentiques et spontanés, ils se montrent aussi plus exigeants avec nous : ils expriment leurs attentes, réclament davantage d’informations sur les conditions de travail ou la culture managériale, hésitent moins à parler de salaire ou d’avantages sociaux. Et ils ont raison : offrir une compétence n’est pas moins précieux qu’offrir un job.

Les managers

Bien sûr, l’entretien physique n’a pas complètement disparu du processus de recrutement. Un changement de poste pour un candidat, ou le choix d’un nouveau collaborateur pour un manager, est une décision trop importante pour pouvoir se dispenser d’une véritable rencontre. Elle est simplement réservée aux managers à présent. En tant que clients internes du recrutement et décisionnaires finaux,ilsont toujours été les véritables recruteurs de toutes façons. Sans doute devraient-ils être davantage formés à l’entretien d’embauche d’ailleurs, tant pour affiner leur perception que pour cadrer leur discours dans un environnement règlementaire très sensible… Les managers sont également les mieux placés pour présenter leur propre poste, leur mode de management et l’environnement de travail. Et surtout, ils peuvent mettre cette rencontre à profit pour commencer à créer du lien et contribuer à faire la différence face à des employeurs concurrents. Et c’est un atout précieux pour capter des candidats dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre.

Le passage à la visio pour les recruteurs marque incontestablement une prise de distance dans les rapports entre les managers et leurs candidats. La qualité de cette relation est devenue déterminante dans la réussite d’un recrutement et le renforcement du rôle des managers dans le processus répond aux nouvelles attentes des candidats qui choisissent un employeur tout autant qu’un poste aujourd’hui. Mais cela ne veut pas dire que le rôle des recruteurs s’affaiblit, bien au contraire. Cette nouvelle donne du marché a simplement imposé un recentrage de leur cœur de compétences, depuis l’évaluation et la sélection,  vers la promotion de la marque employeur et le sourcing actif de candidats. En contexte de pénurie de main d’œuvre, le premier enjeu du recrutement est bien de trouver et de convaincre des candidats !

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