Le blues du visionaute

Les visios qui s’enchainent du soir au matin, sans temps mort, sont devenues l’épreuve quotidienne d’un grand nombre de salariés contraints au télétravail. Pour des travailleurs qui dénonçaient déjà le fléau de la réunionite, comme absurde et anti-productive, la journée de travail sur visioconférence en non-stop est un cauchemar devenu réalité. Non seulement elle pousse à son paroxysme le principe du dialogue permanent, de tous avec tout le monde, tout en l’enfermant dans un cadre d’expression inefficace et frustrant, mais elle évacue également toutes possibilités de travail concret, reportant les choses à faire à cet espace vide entre 2 visios qui, pour certains, n’existe plus qu’en dehors du temps de travail proprement dit.

Les outils ne nous aident pas. Outlook ne sait proposer que des créneaux de réunion d’1 heure par défaut et, moitié par paresse, moitié par convention, nous nous soumettons au principe de ne pas laisser le moindre instant de récupération entre 2 visios et de les remplir de la première à la dernière seconde. Les trous dans nos agendas sont devenus des proies tentantes pour les maniaques de la visioconférence, pour lesquels l’heure du déjeuner ou le sacro-saint créneau du vendredi en fin d’après-midi ne sont même plus intouchables. Ces moments de récupération, sont bien sûr nécessaires pour nos organismes et notre équilibre mental, mais ils seraient également bien utiles pour le travail, ne serait-ce que pour répondre aux emails qui s’entassent ou à nos messageries instantanée qui se jouent des moments d’indisponibilité.

La visioconférence est d’ailleurs devenue le moment le plus propice à cumuler ces échanges simultanés via d’autres canaux, souvent avec des interlocuteurs piégés dans la même visio d’ailleurs, opérant une mise en abîme vertigineuse de nos capacités de communication. Qu’avons-nous, soudainement, de si important à nous dire, 10 heures par jour, 5 jours sur 7, depuis que nous avons basculé dans le télétravail ? Peut-être que les choses n’avancent plus depuis que nous ne faisons plus qu’en parler et que nous nous bornons à nous mettre formellement d’accord pour les accomplir dans ce futur hypothétique où du temps de travail productif nous sera rendu, avec ses pauses café (et pipi) si chères à nos cœurs.

Le droit à la déconnexion de nos accords de QVT n’avait pas prévu ça. Il devient urgent de les mettre à jour. Comme il peut être « déconseillé » voire « interdit » d’envoyer des emails au-delà d’une certaine heure et durant les week-end dans certaines entreprises, nous pourrions interdire les visios qui s’enchaînent, ou les limiter à 45 minutes, et ne pas permettre quelles occupent plus de 50% du temps de travail quotidien également, pourquoi pas. Passions-nous 50% de notre temps de travail en réunion avant le Covid ? C’est en tout cas bien à l’employeur de se saisir de ce nouveau thème de négociation ; il n’a rien à gagner à laisser cette conquête en matière d’équilibre des temps de vie pour ses salariés se dégrader. Et leur engagement aussi.

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