Les malentendus de l’entretien d’embauche
Pour les candidats, l’entretien d’embauche est souvent considéré comme une sorte d’épreuve d’entrée dans l’entreprise, un obstacle pénible à surmonter pour décrocher le job convoité. Il reste en outre très mystérieux, avec ses codes, ses clés, et ses pièges aussi, et l’on ne comprend pas toujours son verdict négatif, surtout lorsque l’on a le sentiment de répondre à toutes les attentes d’un poste. Pour entretenir ce malentendu, on ne manquera jamais d’articles ou de livres détaillant les trucs infaillibles pour « réussir » son entretien d’embauche : quoi dire, quoi faire, comment se tenir, s’habiller, serrer la main ou regarder son interlocuteur. Mais rien n’illustre mieux tous les préjugés associés à l’entretien d’embauche que les infographies mettant en scène quelques statistiques frappantes, souvent justes par ailleurs, mais qui sorties de leur contexte donnent une image peu flatteuse du métier de recruteur. Même s’il est vrai que notre métier nous confronte à des biais cognitifs, il m’est pénible de voir notre métier réduit à un stéréotype mis en image. Mais surtout, je trouve dommageable de laisser croire aux candidats qu’il suffirait de réussir une sorte de « prestation » d’entretien pour décrocher un job. Un entretien-épreuve, décisif en lui-même, qu’il faudrait surmonter, pour « gagner » un poste, sans se soucier de présenter son vrai visage à ses interlocuteurs, ni s’inquiéter de la cohérence entre son profil et le poste. Ou même simplement saisir l’opportunité d’instaurer une relation de qualité avec le premier interlocuteur de l’entreprise que l’on envisage de rejoindre. Et d’ailleurs à quoi bon, puisque l’on peut lire sur certaines des infographies qui circulent sur le net que la décision du recruteur se prend dans les 2 premières minutes de l’entretien et que « la tenue vestimentaire, l’attitude et la démarche » comptent plus que les « propos tenus ». Tout est dit.
L’entretien n’est qu’une étape
Avant tout, le recrutement ne se résume pas à une rencontre avec un recruteur. Cette rencontre est en elle-même l’aboutissement d’un long processus de recherche et de sélection, et ne constitue qu’une étape du recrutement. Depuis les phases d’analyse de CVs et d’entretiens téléphoniques de préqualification en amont, jusqu’aux vérifications de diplôme et aux prises de référence, en passant par les éventuels tests de personnalité ou d’aptitudes, en aval d’un entretien, l’évaluation d’une candidature prend du temps. L’entretien avec le recruteur n’est d’ailleurs pas le seul entretien du processus de recrutement. Ni le plus important. Car le vrai « recruteur » sera toujours le ou la manager qui recrute pour son équipe. C’est lui ou elle qui va choisir, parmi une short-list de candidats « éligibles » proposée par le recruteur, celui ou celle qui répond le mieux à ses attentes. Son choix pourra même être validé par un ultime entretien avec son propre manager, ou le dirigeant de la société, selon les enjeux du recrutement. Et ce n’est pas encore tout à fait fini. Il faut encore ajouter la phase de négociation, de contractualisation et de « pré-boarding », en amont de l’accueil du candidat dans l’entreprise. On peut même considérer l’onboarding, jusqu’à la confirmation de la période d’essai, comme la dernière phase du recrutement. On est déjà loin de notre premier entretien d’embauche.
Au-delà de l’entretien
Dès lors, vous croirez sans peine qu’il m’est arrivé de recruter des candidats arrivés en retard, souriant peu ou croisant les bras durant l’entretien, et même les trois à la fois. Car nous autres recruteurs, nous regardons cet exercice comme une étape de notre processus de recrutement, certes importante, mais pas suffisante en elle-même. Et surtout nous sommes capables de percevoir, derrière les possibles malentendus ou malaises inhérents au contexte d’évaluation, ce que nous cherchons à déterminer avant tout chez nos candidats : leur compétence et l’adéquation de leur profil à notre poste. Nous n’oublions pas non plus, en tant que premier représentant de l’entreprise rencontré, qu’il nous faut en donner la meilleure image possible et valoriser au mieux le poste que nous avons à pourvoir. Il est utile de rappeler que le recruteur lui aussi est évalué durant cet entretien. Et que le candidat partage notre intérêt de réussir le recrutement.
Cette réussite ne repose pas que sur une adéquation à un poste et un accord sur les conditions matérielles de la collaboration. Mais aussi sur une somme de paramètres tout aussi cruciaux, comme la cohérence du mouvement de carrière envisagé, à court et à long termes, les affinités avec le mode de fonctionnement d’une entreprise, d’une équipe ou d’un manager et bien sûr, la motivation. Par motivation, j’entends bien les raisons objectives qui amènent un candidat à postuler à une opportunité précise à un moment donné, et non simplement la forme d’enthousiasme exprimé durant un entretien, insuffisante en soi et qu’il est donc vain de feindre. Nous avons donc aussi une responsabilité d’écoute et de conseil, au-delà du processus de recrutement en cours, et je prends parfois le temps, quelle que soit la suite donnée à l’entretien, de faire des recommandations à mes candidats si je crois pouvoir les aider.
Faire confiance au recruteur
Dans ce processus éminemment humain, et donc fragile, rien ne vaut la bonne volonté, la confiance et la transparence de part et d’autre. Car un recrutement n’est pas un processus d’entreprise parmi d’autres, technique ou administratif, que l’on peut laisser derrière soi une fois qu’il est finalisé. C’est un engagement mutuel et durable, pour l’entreprise comme pour le candidat, et qui peut changer pas mal de chose dans une vie ou dans une organisation. Au-delà même de la relation contractuelle, votre travail vous définit également socialement vis-à-vis des autres. Vous avez remarqué comme votre métier est souvent l’un des premiers sujets de conversation abordés lorsque l’on cherche à faire connaissance ? Enfin, c’est une part importante de votre vie, ne serait-ce qu’en terme de temps consacré. Vous passez la majeure partie de vos journées au travail ; il vaut mieux l’avoir bien choisi. Tant du point de vue du métier que de l’environnement de travail, managers, collègues et ambiance compris. Si doués soyez-vous à faire la part des choses entre votre vie professionnelle et votre vie privée, vous ne pourrez pas faire l’économie d’être bien dans votre job pour être bien dans votre vie.
Un recrutement finalisé sur la base d’un entretien « faussé » aura donc de grandes chances d’aboutir à une désillusion et à un échec partagé. Dès lors, même si « truquer », ou même « biaiser » un entretien était possible, cela ne serait pas plus souhaitable pour vous que pour votre employeur. Ne serait-ce que parce-que vous aurez à assumer votre personnage une fois en poste. Soyez-vous même et ne prêtez pas trop d’attention aux conseils à l’emporte-pièce pour briller en entretien. Ils ne feront que compliquer la tâche des recruteurs qui consiste à vous donner le job qui vous revient. Rien de plus, rien de moins.