Les télé-managers

De confinement en re-confinement, le télétravail poursuit sa progression à marche forcée. Plébiscité par les salariés et encouragé par le gouvernement, il est davantage subi par beaucoup d’entreprises qui cherchent avant tout à retrouver leur souffle dans cette période de crise majeure. Malgré tout, plus d’un millier d’employeurs en France ont déjà finalisé leur accord télétravail, convergeant vers un format hybride autour de deux jours par semaine pour les postes compatibles. Ce compromis répond aussi aux souhaits des salariés, qui, bien que massivement convertis au télétravail, ne se voient pas renoncer totalement aux interactions sociales avec leurs collègues ou aux commodités de leurs espaces de travail. Aujourd’hui, même si on ne peut pas encore parler de révolution, le télétravail à grande échelle semble bien voué à s’imposer dans nos vies professionnelles.

Le retour du management de proximité

Cette mutation du travail a cependant été précipitée par les circonstances. Elle bouscule nos organisations et nos habitudes de travail, et remet en question jusqu’aux rapports même entre salariés et employeurs, depuis l’engagement des équipes jusqu’aux modes management. Le manager de proximité, souvent décrié, voire remis en question dans les organisations matricielles, s’est ainsi retrouvé en première ligne dans la gestion opérationnelle de la transition vers toujours plus de travail à distance. Car la dispersion des équipes a soulevé des problèmes que les outils ou la flexibilité organisationnelle n’ont pas été en mesure de résoudre seuls. Replacé à la charnière entre l’employeur et les collaborateurs, le manager s’est naturellement repositionné dans un rôle central. Sollicité comme jamais, tant par sa hiérarchie que par ses équipes dans cette phase de transition, il a dû investir un temps considérable dans la relation managériale et le suivi de la production, au détriment parfois de ses propres objectifs de production. De fait, son rôle d’encadrement s’est « professionnalisé », rappelant la vraie valeur ajoutée d’un manager. 

La question du temps dédié au management

Il va devenir dès lors urgent de poser la question de la reconnaissance du management de proximité dans nos modèles d’organisation, ne serait-ce qu’à travers le temps dédié à l’encadrement d’équipes dans les fonctions managériales. Car, nous le savons, une grande partie des managers ne sont pas libérés de leurs pleines obligations de production lorsqu’ils sont promus. Alors même que les entreprises leur demandent toujours plus d’efforts de suivi individuel et d’animation d’équipes pour mieux répondre aux nouvelles aspirations des collaborateurs, une part de ce management de proximité se fait sur le temps caché des managers, rarement bien si l’on en croit la perception des salariés sur le sujet. De plus, ces efforts ne sont par ailleurs jamais autant valorisés dans les évaluations que les résultats de production individuels et collectifs. Bien sûr, toutes les entreprises intègrent désormais les qualités managériales à leurs évaluations, et elles les reconnaissent dans une certaine mesure, mais elles se montrent plus timides quand il s’agit d’ajuster des objectifs individuels de production en fonction des nécessités de management ou de valoriser la performance en termes d’engagement, de développement ou de satisfaction d’équipes.

Organiser les nouvelles relations de travail

L’essor du télétravail est cependant voué à changer la donne. Le travail à distance nécessite d’être structuré et suivi individuellement, avec davantage de méthode et de régularité que le travail en présentiel, et pas uniquement à des fins de contrôle. La réorganisation des espaces de travail peuvent également compliquer la tâche des managers. Avec le développement du flex-office, il faut orchestrer le partage des postes de travail et travailler à maintenir la cohésion des équipes y compris sur le lieu de travail. Au-delà d’une certaine part de télétravail, les managers doivent aussi aider leurs collaborateurs à gérer une nouvelle forme d’isolement, sans les contacts et échanges informels qui guident l’exécution des tâches quotidiennes et entretiennent la motivation. Ils doivent consacrer du temps à rééquilibrer les relations avec leurs collaborateurs, en développant leur autonomie, en favorisant les échanges transversaux à travers les lignes hiérarchiques et les silos, et en organisant la solidarité entre les membres d’une même équipe – lesquels détiennent, collectivement, la plupart des réponses à leurs questions au quotidien. La tradition de validation de la moindre décision par le chef doit disparaître au profit d’une émancipation des équipes, seule à même de maintenir la cadence du travail dans un environnement dispersé et un management à distance.

Le manager-employeur

La culture d’entreprise risque également d’être ébranlée par ces nouvelles organisations du travail. Le cadre de l’entreprise nous rappelle constamment de quelle organisation nous faisons partie et les collègues que nous côtoyons entretiennent notre sentiment d’appartenir à un collectif. A distance, c’est essentiellement au manager qu’il incombera de maintenir le sentiment d’appartenance à une équipe, et au-delà, à l’entreprise. Sa disponibilité, son écoute et ses qualités relationnelles, aujourd’hui optionnelles, deviennent la clé de la cohésion et de l’engagement des équipes. Plus que jamais, le manager doit incarner l’entreprise.

Professionnaliser le manager

Autant de missions managériales qui nécessiteront de développer de nouvelles compétences, notamment d’organisation et d’animation, mais aussi et surtout de dégager le temps nécessaire à leur mise en œuvre. C’est sans doute le principal défi à relever pour nos organisations déjà tendues en termes de ressources et placées devant le défi d’une crise d’ampleur inédite. Mais ces nouveaux modes de travail s’imposent déjà à nous et la question n’est plus de les accepter ou non, mais de reconstruire un nouvel équilibre autour d’eux. Au moment où, pour la première fois, les jeunes générations se détournent des carrières de management, cela contribuera peut-être à donner corps à une fonction de manager à part entière, non tant comme un collaborateur que les circonstances ont investis d’une mission d’encadrement en plus des autres, mais en tant que pilote dédié à la performance et à la cohésion d’un collectif. Un nouveau métier en somme.

Taper votre recherche ici