Le marché de la marque employeur

La meilleure manière de définir la marque employeur pour des chefs d’entreprise est de la présenter sous l’angle du marché économique où l’offre employeur rencontre la demande collaborateurs.

C’est particulièrement évident dans les interactions de recrutement sur le marché des talents, où l’on retrouve de plus en plus de postures de vendeurs chez les entreprises, et des comportements de consommateurs chez les candidats. De fait, aujourd’hui, la tension sur le marché des compétences qualifiées place les employeurs potentiels en situation de concurrence avec d’autres employeurs auprès de leurs candidats, au moins autant que les candidats le sont entre eux. Cette compétition est d’autant plus vive que l’enjeu de détenir l’expertise technique ou de susciter l’engagement parmi ses collaborateurs conditionne la performance, voire la survie de l’entreprise. Perdre un salarié clé et échouer à le remplacer, ou constater une baisse de la motivation dans son équipe ou une dégradation de son équilibre social, affecte directement le résultat de l’entreprise, notamment dans les structures les plus modestes.

Le marché de l’emploi en France

Le marché de la marque employeur est le marché de l’emploi, ni plus ni moins. Il met en face des employeurs, entreprises ou secteur public, et des actifs, en emploi ou en recherche d’emploi, salarié ou non. Pour faire simple, je vous propose de considérer le marché des entreprises privées et celui des actifs salariés. Voici les forces en présence :

  1. Les employeurs

Il y a près de 4 millions d’entreprises en France. 76% dans le secteur Tertiaire (Commerce, Transports, Administration, Finance, Immobilier, Services, Education, Santé et Social), 21% dans le secteur Secondaire (Industrie, Construction) et 3% dans le secteur Primaire (Agriculture, Pêche, Mines). Le secteur tertiaire est en hausse constante, tandis que le secteur Primaire décroit fortement, et que le secteur Secondaire se réduit lentement. A noter que les start-ups ne représentent que 1,8% des entreprises (environ 18 000) pour 350 000 salariés.

La production de valeur – et les profits – sont bien sûr inégalement répartis : 250 entreprises (sur 4 millions) emploient 27% des salariés (27 millions d’actifs en poste) et créent à elles seules 33% de la valeur produite.

  1. Les actifs

La population active en France est estimée à environ 30 millions de personnes, 52% d’hommes et 48% de femmes. Elle regroupe 27 millions d’actifs ayant un emploi et environ 3 millions de personnes au chômage. Les cadres représentent 18% de la population active (5,4 millions), les ETAM (Employés, Techniciens et Agents de Maîtrise) 52% (15,7 millions), les artisans 6,5% (2 millions) et les Agriculteurs 1,6% (0,5 million).

La population de cadres est en constante augmentation ; elle ne représentait que 5% des actifs il y a 40 ans. Les hommes représentent 58,7% des cadres (41,3 % de femmes cadres) et gagnent en moyenne 25% de plus que les femmes (Insee, salaire net, 2019). La population Cadres ne connaît que 3,4% de chômage ; elle est donc en situation de plein-emploi. Il se recrute chaque année entre 250 000 et 300 000 cadres en France.

La génération Y représente 50% de la population active en 2020, et en représentera 75% en 2025.

  1. L’offre

Il y a environ 3 millions d’offres d’emplois proposées chaque année en France. Il y aurait entre 200 000 et 300 000 emplois non pourvus chaque année faute de candidats (disponibles ou qualifiés).

Un marché en crise

Ce marché n’est pas parfait. De nombreux demandeurs d’emploi ne trouvent pas d’employeur, et de nombreux employeurs ne trouvent pas de collaborateurs. On constate une inadéquation entre l’offre et la demande, c’est-à-dire, dans notre cas, un écart entre les compétences disponibles et les compétences recherchées, mais pas seulement. L’inadéquation peut être aussi d’attentes réciproques, de disponibilité, de mobilité géographique, etc. Le fait demeure, qu’en France, nous recensons plus de 3 millions de demandeurs d’emploi, alors que des centaines de milliers d’emplois ne trouvent pas preneurs chaque année. Bien que ce chiffre soit à relativiser, il est indéniable que le nombre de chômeurs n’empêche pas les entreprises d’éprouver de réelles difficultés de recrutement. Ces difficultés persistant malgré la sophistication des outils de recrutement, le dynamisme des plateformes de mise en relations entre les recruteurs et les candidats potentiels, et la profusion des intermédiaires du recrutement, le problème est ailleurs. Les profils qualifiés et expérimentés, mais aussi les cadres dans leur ensemble, connaissent une situation de plein emploi en France aujourd’hui. Les entreprises, de leur côté, prises entre les exigences d’une compétitivités accrue et mondialisée, et les transformations à engager du fait des mutations technologiques notamment, ont besoin de compétences toujours renouvelées, toujours plus pointues et immédiatement opérationnelles, que le marché des talents est bien sûr incapable de leur fournir en volume suffisant. Ajoutez à cela une profonde remise en question des rapports entre les salariés et les employeurs, des bouleversements dans notre rapport au travail même, notamment chez les jeunes générations, et une situation de profond désengagement au travail, voire de souffrance ou de perte de sens, chez les collaborateurs, et vous comprendrez mieux la complexité et la difficulté de ce marché pour les entreprises. Et aussi les raisons à l’origine de cette nouvelle discipline de marque employeur et pourquoi l’on en parle autant.

L’emploi est votre produit

Le marché dans lequel s’exprime la marque employeur peut s’appréhender comme un marché de produits ou de services, avec ses offreurs (les employeurs potentiels), son offre (les emplois), et ses consommateurs (les candidats potentiels et les collaborateurs). Pour les entreprises, ce marché est un espace de concurrence ouverts où leurs emplois doivent attirer des candidats et satisfaire leurs collaborateurs.

Les bases étant posées, il devient simple de décrire la marque employeur, notamment si on place chaque terme en parallèle avec son équivalent marketing.

  • Emploi = produit / service
  • Identité employeur (employer brand) = caractéristiques de votre produit / service
  • Promesse employeur = votre offre de valeur produit / service
  • Politique de marque employeur, ou employer branding : marketing produit / service
  • Campagne de marque employeur = publicité de votre produit / service

Vous noterez dès lors que la difficulté d’une marque employeur à adresser à la fois les candidats et les collaborateurs n’en est pas une lorsque l’on considère le problème sous cet angle. Ou que du moins, elle n’en sera une que si l’on part du principe que sa promesse employeur ne peut pas être alignée sur son expérience collaborateur, ou, pour le dire autrement, que l’on ne peut que mentir sur les vertus de son produit pour réussir à le vendre. On est proche là aussi du dilemme de la publicité. Mais si l’on part bien du principe que sa promesse employeur est authentique, alors elle conciliera naturellement les points de vue des collaborateurs et des candidats, et trouvera à la fois son utilité dans l’engagement des collaborateurs et dans l’attraction des candidats.

Votre offre de valeur

Pour autant, cette promesse employeur ne doit pas se donner pour unique objectif d’attirer des candidats. Elle doit se construire sur la base de votre identité employeur, pour ne pas décevoir vos nouvelles recrues. C’est d’ailleurs pour cela qu’on l’appelle une promesse employeur. L’expérience vécue par vos consommateurs ou clients, c’est-à-dire la qualité de votre offre, importe davantage que le fait d’avoir réussi une opération de vente. Si votre produit est un shampoing, par exemple, et qu’il fait perdre leurs cheveux à vos clients, vous n’aurez réussi que de premières ventes et rien au-delà. Vous aurez aussi pas mal d’ennuis à gérer et devrez probablement renoncer à tout avenir dans la vente de soins capillaires… De la même façon, l’expérience collaborateurs que vous proposez importe plus que le fait d’avoir finalisé un recrutement. Il ne suffit pas de recruter, il faut conserver vos nouvelles recrues et les engager sur le long terme.

Il vous faudra également tenir compte des offres concurrentes, des usages du marché et des attentes spécifiques de vos cibles, comme lorsqu’il s’agit de placer un nouveau produit sur un marché. C’est pourquoi la marque employeur vous fera toujours faire davantage de marketing que de communication, et qu’il vous faudra avant tout vous soucier de l’expérience réelle que vous offrez à vos collaborateurs, même si votre objectif premier est de recruter. En d’autres termes, la marque employeur n’est pas qu’une question de communication. Et si, en tant que PME, vous ne disposez pas des moyens de communication des grands groupes, vous disposez, contrairement à eux, d’une plus grande marge de manœuvre pour adapter votre offre employeur.

L’approche organisationnelle de la marque employeur

La construction d’une politique de marque employeur ne consiste pas qu’à déterminer qui l’on est, comment le formuler, ou par quels moyens toucher ses cibles. Cette approche purement marketing et communicationnelle du problème ne convient qu’à des employeurs déjà en position de force sur le marché des talents. Pour les entreprises qui n’ont pas la chance de figurer dans les classements des employeurs les plus attractifs, le problème se pose plus prosaïquement : comment parvenir à séduire avec ce que l’on est, sur un marché saturé de communication et face à des « consommateurs » toujours plus exigeants ?

Bien que la marque employeur pose les bonnes questions, elle ne peut pas apporter toutes les réponses. Pour certaines catégories d’employeurs, elle ne dispensera pas d’agir en amont du champ de la marque employeur. D’une part sur l’offre (votre expérience collaborateurs), et d’autre part sur la demande (les compétences recherchées et les modalités d’intégration). Ce qui replace d’ailleurs l’expertise RH et le projet d’entreprise au cœur du problème.

  1. Travailler son offre employeur

C’est un domaine dans lequel les PME, et bien sûr les start-ups, possèdent un avantage concurrentiel déterminant sur les grandes entreprises. Elles peuvent plus facilement ajuster leur offre employeur, en proposant de la flexibilité dans l’organisation du travail, ou en faisant évoluer leur culture employeur (management, ambiance et conditions de travail, …) pour mieux correspondre aux attentes des candidats potentiels.

  1. Diminuer ses prétentions

Nous débordons ici le champ de la marque employeur, pour rappeler que les attentes des employeurs sont souvent à l’origine des difficultés de recrutement. Pour s’en convaincre, il suffit parfois de se rappeler que nous cherchons à remplacer des salariés par des clones, souvent en mieux, en nous basant sur les compétences de sortie de poste et non d’entrée en poste. Ce simple réajustement peut nous aider à nous recaler sur la recherche d’un profil similaire au profil qu’avait le salarié à remplacer quand il a débuté dans le poste, et non en sortie de poste, quand manifestement son profil était déjà trop capé pour l’y maintenir.

  1. S’ajuster au marché

Là aussi, nous sortons du champ de la marque employeur pour investir cette fois le terrain du développement des compétences. Il suffit de se rappeler que c’est l’entreprise et non le système éducatif qui détient les véritables capacités de formation à ses propres postes. Dès lors, plutôt que de rechercher des compétences déjà complètes et opérationnelles, introuvables ou hors d’atteinte, il suffirait d’investir les efforts de formation nécessaires pour porter la compétence disponible au niveau de performance attendue.

L’intérêt de cette approche organisationnelle de la marque employeur lorsque l’on est une PME dans un secteur d’activité traditionnel et sur un bassin d’emploi aux ressources limitées, par exemple, c’est qu’elle permet de dépasser la compétition sur l’image et la notoriété (perdue d’avance face aux employeurs « stars » du marché), pour la recentrer sur ses avantages concurrentiels propres, à commencer par la flexibilité de l’organisation et des modalités de travail. Ces axes de solutions permettent aussi de mieux répondre aux nouvelles attentes de qualité de vie au travail et de sens exprimées par les nouvelles générations. Bien sûr, une expérience collaborateur ne peut pas s’acheter, comme on peut s’offrir une campagne de communication ou une sponsorisation de contenu sur les réseaux sociaux. Il faut s’atteler au cœur du problème, dans ses dimensions RH et managériales, et faire preuve d’audace, voire de courage entrepreneurial, comme ces entreprises passées à la semaine de 4 jours (sans réduction de salaire), aux congés illimités ou au 100% télétravail. Aucune publicité de marque employeur au monde, quel que soit son budget ou sa créativité, ne pourra jamais concurrencer de telles promesses. Sans aller jusqu’à aménager des mesures aussi disruptives, le champ offert aux aménagements du travail reste largement à explorer. Ce sont les structures les plus agiles qui nous montreront le chemin.

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